ou comment se dépêtrer du stigmate de l'artiste-pute.
Il y a plusieurs semaines, je manifestais en compagnie d’artistes-auteur·ices pour protester contre tout un tas de mesures visant à faire de nos vies une galère. Dans cette foule de gens stylés, j’ai croisé une collègue-camarade de lutte que je n’avais pas vu depuis longtemps, dont le travail aborde “les pornographies”. Sur plusieurs mètres, on a discuté de nos projets, de nos galères, de nos avancées, du décalage entre nos “réussites” et l’état de notre compte bancaire. Le constat était clair : il y a un gap de malade. Puis, on a finit par s’accorder sur le fait que parler, faire, montrer du porno (ou très grossièrement fabriquer des oeuvres qui abordent le sexe, frontalement ou pas), freine l’évolution d’une carrière, d’un parcours d’artiste. Surtout lorsque l’on a une ambition autre que celle de rester à la marge. Moi, la marge, je connais bien. Je n’ai pas fait d’école d’art et suis passée à travers les interstices, les failles, et j’ai expérimenté les bouts de ficelle. Le terrain. Mais dernièrement, j’ai senti que je pouvais m’en extraire, non pas par snobisme ou retournement de veste, mais par désir et nécessité. Tenter une percée à travers le grand monde des institutions culturelles pour, peut-être, pérenniser mon activité (et finir au Moma). C’est là où le bât blesse : j’ai (malgré moi) une image associée à la pornographie. Au travail du sexe. Au sexe. Je ne suis, pour certaines personnes, que ça.
C’est à ce moment-là que ma collègue me demande “est-ce que tu as fait en sorte de dépornifier ton image ? Plus simplement, est-ce que j’ai volontairement pris la tangente en changeant de sujet de réflexion ou en arrêtant de relayer des contenus liés au TDS, mettant l’accent, entre autres, sur ma passion pour la randonnée. La question m’a surprise mais elle m’a semblé être une bonne opportunité pour y réfléchir à deux fois.
Il est vrai que mon image est moins reliée aux sujets du porn/TDS/sexe que par le passé. Je relaye moins d’informations à ce sujet et je ne participe plus trop aux festivals et événements dédiés. En 2022, j’avais pris le temps d’expliquer sur Instagram mon quotidien sur le tournage du long-métrage porno The Wedding de Erika Lust, mon dernier film. J’ai adoré tourner dedans, mais j’étais lassée de répondre aux mêmes questions. J’avais le sentiment de tirer sur la corde de mon image. D’essayer d’en tirer profit alors que le cœur n’y était plus. J’en avais d’ailleurs parlé dans une newsletter consacrée à C(h)oeur de sex worker, le documentaire que j’ai co-écrit avec Élisa Monteil pour France Culture. J’y racontais que j’étais heureuse que cette décennie de ma vie consacrée à ces thématiques se conclut par une heure de création sonore libre diffusée sur la radio nationale. Ceci m’offrant la possibilité d’aller de l’avant avec le sentiment d’avoir accompli quelque chose. De fait, ensuite, mes recherches et publications ont évolué. Et ce que je diffuse sur les réseaux reflète nécessairement ce que je veux que l’on voit de moi et de ma vie. Ce n’est pas que je cherche à m’éloigner de mon image antérieure, au sens où je n’ai aucune gêne ni regret ni une quelconque envie d’avoir l’air désormais “respectable” ou “pudique” pour plaire à de potentiels nouveaux publics (Néanmoins, force est de reconnaître qu’il y a plus facile que de trimballer une image de meuf à poil.)
J’ai toujours évoqué dans des entretiens les retours absents ou méprisants qu’ont pu générer mon travail et bien que je sois toujours alignée aux valeurs que j’ai défendu concernant le travail du sexe, j’ai aussi envie de m’intéresser à d’autres sujets, voire, de tout faire dialoguer. Ainsi, je me suis sincèrement plongée dans le monde des montagnes. En altitude, je vis quelque chose de très physique, une expérience transcendantale qui égale celle qu’a été la pornographie et le travail du sexe. À chaque fois, je suis animée par une recherche d’intensité. Sentir mon corps engagé, observer ce qui se joue en moi, comprendre ce rapport à soi, aux autres, ce besoin d’être regardée, de désirer. Tracer les contours flous de mes propres limites.
Alors, oui, je pose davantage en tenue de randonnée qu’en harnais, mais je m’intéresse toujours au sexe et à ses enjeux. Seulement, je crois qu’il n’y a pas plus puissant qu’être nue à la montagne et de ressentir du désir pour de la roche et des pics enneigés. Je pourrais presque affirmer que c’est une suite logique, qu’il y a des ponts (de neige, lol) à faire et c’est ce que je tente de montrer dans mon livre. Le travail du sexe y côtoie les montagnes. Philippe Azoury l’explique très bien dans le magnifique article qu’il consacre à mon livre pour Les Inrocks : “Avec “Des choses que j’imagine”, la photographe Romy Alizée explore mille façons d’aimer”.
Je vous laisse sur la sortie nationale, en ce 30 mai, de Des choses que j’imagine (aux éditions Rotolux Press, les best) pour lequel deux rencontres sont déjà prévues :
★ Jeudi 5 juin à 19h @Les Mots à la Bouche, 37 rue Saint-Ambroise, Paris 11.
Au programme : une rencontre animée par Hélène Giannecchini et lecture à 6 voix des textes du livre.
★ Vendredi 13 juin à 19h @Ensemble, 7 Rue du Chevalier Roze, 13002 Marseille.
(j’aime les plantes et le béton, et vous ?)
À très vite, n’hésitez-pas à me partager vos retours suite à cette newsletter !
Romy